Dans sa 102e année, Bel Delecourt vient de nous quitter. Figure de la céramique quimpéroise, elle arpentait, infatigable, les rues de la ville et passait souvent à la galerie. Ces dernières années elle s'était expatriée à Rennes.
Il y a quelques années, j'avais rédigé un texte sur elle, à l'intention d'une publication dans le journal du Quimper Club International... le voici, en forme d'hommage.
"Cet
après-midi, j’ai rendez-vous dans une élégante maison quimpéroise. Passée la
grille du portillon, quelques opus incertum, je sonne. Je connais cette
dame qui vient m’ouvrir. Voilà déjà plus de quinze années que j’ai l’occasion
de la côtoyer. Pour l’état civil, il s’agit d’Isabelle Delecourt. Son prénom
cependant est désormais passé à la postérité sous le joli pseudonyme de Bel.
En
ce samedi après-midi hivernal, nous nous asseyons dans le salon qui jouxte
l’entrée. C’est avec plaisir que je me penche sur la carrière d’une artiste qui
vient de fêter ses 93 ans. En annonçant l’âge de Madame Delecourt, nulle
volonté d’être discourtois. Bel Delecourt ne fait pas mystère de son âge et
sait garder le charme particulier qui émane aussi de son univers.
Alors
même que le Musée départemental breton de Quimper consacre une exposition aux
époux Taburet, qui étaient ses voisins d’atelier à la manufacture HB, cette
rencontre est l’occasion d’un retour et de quelques éclaircissements sur sa
carrière.
Bel Delecourt, lors d'une rencontre organisée à la galerie (ici avec Paul Moal, Marjatta et Jean-Claude Taburet, Patrice Cudennec) |
Bel
Delecourt n’est pas la première artiste de la famille. Son grand-père paternel,
Eugène Lamasse, était directeur artistique de la faïencerie Keller et Guérin à
Lunéville. Peu de traces subsistent des créations de cet homme décédé
prématurément mais un réel talent d’artiste très naturaliste est évident. Sens
de l’ornementation, de la composition et précision botanique des décors
floraux, les dessins et céramiques d’Eugène Lamasse laissent entrevoir un
talent certain.
De
son enfance à Nancy, Bel Delecourt garde de belles images. Son père, officier,
amenait ses enfants dans de grandes promenades en forêt. Il faisait écouter la
beauté du chant des oiseaux à ses enfants et disait à la petite Isabelle que
ces chants étaient pour elle. A la question « Mais quand je ne les
entends pas, pour qui chantent les oiseaux ? », son père répondait
« Pour le bon Dieu ! ». Cette foi profonde, Bel Delecourt la
gardera toute sa vie.
Ce
père admiré refuse toutefois à la jeune fille de choisir la carrière de la
danse. Elle se voyait ballerine, elle fera des études d’ingénieur
commercial à Lille, suivant ainsi un cursus rare pour les jeunes femmes de
l’époque.
Ce
diplôme, obtenu avec beaucoup de travail, ne sera d’aucune utilité pour sa
carrière !
Son
premier emploi sera celui de mère, à la suite d’un mariage à l’issue de ses
études. Premières joies de la maternité que Bel Delecourt ne cessera de
célébrer par la suite, « le plus beau métier du monde que celui de
mère » dit-elle.
Jeune femme en terre chamottée émaillée, vendue à la galerie il y a quelques années |
De
ces années d’avant-guerre, l'artiste se souvient d'un court voyage chez ses
parents. Son père a été alors muté à Quimper. C’est la découverte de la
Bretagne. « Splendide ! », voilà son opinion sur cette province. Les
paysages sauvages, l’âpreté d’un village côtier balayé par les vents comme Le
Guilvinec, la puissance de la houle… la première impression est excellente. A
Quimper, elle visite avec son mari la faïencerie HB. Mais l’ambiance de
l’époque n’est guère à l’émerveillement et à l’insouciance. Déjà des bruits de
bottes commencent à se faire entendre.
Dès
la déclaration de guerre, Isabelle Delecourt suit ce mouvement de peur que l’on
a appelé en France du nom d’exode. La fuite devant l’envahisseur allemand qui
ne tardera pas à surgir l’amène, logiquement, à partir se réfugier avec son
fils, chez ses parents, à Quimper.
L’Occupation,
elle la vivra partiellement dans cette ville où vient la rejoindre son mari de
retour de guerre. Son deuxième enfant naît ici ; son troisième voit le jour
alors qu’elle a suivi son époux en affectation dans l’Allier. Des soucis
conjugaux amènent par la suite Isabelle Delecourt à rejoindre Quimper, ville qu’elle
ne quittera plus désormais.
Employée
à la Préfecture durant la guerre, elle garde peu de souvenirs marquants de
cette époque troublée. A son arrivée à Quimper, Bel Delecourt partageait son
domicile avec ses parents. La maison était alors située sur les quais de
l’Odet, à l’emplacement de l’actuel Conseil général du Finistère.
Ce
n’est qu’après la Libération que sa carrière se précise.
Un korrigan au chat, passé à la galerie il y a deux ans |
Son
père, Paul Lamasse, décide de s’inscrire aux cours du soir de la toute jeune
Ecole des beaux-arts de la ville. Bien vite il y entraîne sa fille.
C’est
une révélation pour la jeune femme. L’un de ses professeurs, Jos Kervella,
remarque particulièrement ses dons. Autre mentor dont elle fait vite la
connaissance, Augustin Tuset. Le docteur Tuset, médecin directeur des services
de santé du département, est aussi un artiste et l’un des éléments importants
de l’intelligentsia locale. C’est Augustin Tuset qui incite Isabelle Delecourt
à entamer une carrière dans la céramique, à la manufacture Henriot. La jeune
femme restera peu de temps dans cette faïencerie. Pour des raisons
personnelles, c’est dans la manufacture concurrente, HB, qu’elle fera carrière.
Ses
premières œuvres en céramique sont réalisées alors qu’elle est encore élève de
l’Ecole des beaux-arts. Les conseils avisés du docteur Tuset l’amènent à
laisser très vite s’épanouir son style autour des quelques thématiques qui
seront sa signature : la femme et l’univers de l’enfance.
C’est
alors qu’Isabelle Delecourt devient Bel Delecourt. A ce changement de nom, deux
raisons. D’une part, elle cherchait à raccourcir un nom décidément trop
long, d’autre part elle voulait également « asexuer » son prénom. A
une époque où, dans une petite ville de province, le travail artistique d’une
femme était, au plus, jugé récréatif ou intéressant, le prénom de Bel pouvait
laisser planer un doute sur le sexe du créateur et ainsi donner une crédibilité
à l’œuvre !
En exposition au Musée départemental breton en 2011-2012 |
Et
pourtant, il faut l’avouer, l’univers de Bel Delecourt est éminemment féminin.
« Vous ne trouverez pas beaucoup de bonshommes chez moi ! » me
dit-elle avec humour.
Ses
thématiques s’organisent de manière très cohérente. La femme, c’est la
ballerine pleine de grâce qu’Isabelle Delecourt voulait être. Les enfants, ce
sont les siens, observés dans leurs moindres attitudes. Les femmes et les
enfants, ce sont aussi des Vierges à l’Enfant, des madones par lesquelles
l’artiste laisse libre cour à l’expression de sa foi.
Dès
lors Bel Delecourt déclinera ces thèmes sur différents supports durant plus de
60 ans !
La
manufacture HB a profité de ses services pour lui faire créer quelques
céramiques qui ont été éditées. On peut penser à des groupes de danseurs
bretons ou des groupes de jeunes enfants. Une belle Vierge à l’enfant voit
aussi le jour. Mais la majeure partie du travail de l’artiste à la manufacture,
ce sont des pièces uniques. Céramiques en ronde-bosse ou décorations en aplat
aux émaux, de nombreuses œuvres sont exposées et vendues à Quimper ou Paris.
Dans
les années 1970, c’est vers l’abstraction que Bel Delecourt penche. Très sensible
aux effets de fusion, elle réalise ainsi bon nombre de céramiques au décor
chatoyant et abstrait. Cependant, soucieuse de s’occuper pleinement de ses
parents devenus très âgés, elle interrompt brutalement sa création dans le
domaine de la céramique en 1976.
Si
le nom de Bel Delecourt est indubitablement associé à la faïence de Quimper,
nous ne devons pas oublier que l’artiste a également su appliquer son univers à
d’autres supports.
En
parallèle à son activité chez HB, grâce aussi à la liberté consentie par la
manufacture aux artistes, Bel Delecourt a créé des décors peints sur
porcelaine. Cherchant un matériau plus fin et plus précieux que la faïence pour
des motifs extrêmement soignés, elle commandait ses porcelaines à Limoges, les
faisait peindre par une employée dans un atelier qu’elle avait créé rue de
Brest à Quimper, puis les commercialisait elle-même. Des services de table
autour des thèmes des ondines ou des bateaux par exemple ont ainsi été créés.
Fréquemment, sans doute pour accentuer la préciosité de ces céramiques, des
rehauts d’or ornaient les pièces. Après quelques années, la demande n’étant pas
assez soutenue, Bel Delecourt ferma son atelier de la rue de Brest pour donner
ses dessins à reproduire à Paris dans les ateliers Jamault et Vignault.
Bel
Delecourt est également l’auteur de décors de grandes dimensions. En 1952, elle
signe un ensemble décoratif pour la « Maison Monseigneur Duparc » à
Quimper. Cette batisse abrite un patronage pour les jeunes filles et Bel
Delecourt y signe un décor que la presse de l’époque évoque en ces
termes : On a admiré comme il
convenait ce « Chemin du Paradis » qui se pare, tout au long des
escaliers, de poissons d’abord, puis d’oiseaux fastueux, enfin d’angelots
rieurs – mer, terre, ciel – le tout enrichi de motifs complémentaires de la
même veine. Et que dire de la salle commune dont les murs évoquent avec
beaucoup de charme et d’humour la jeune fille de 1900 ? Toutes ces
fresques éclatent de vie, de spontanéité et de jeunesse et on ne pouvait rêver
décor mieux adapté à la Maison Mgr Duparc. Cet ensemble décoratif a été
conçu avec à peine quelques dessins préparatoires, directement créé sur place
par l’artiste, à même les murs. Il s’agit là d’un acte purement désintéressé.
Bel Delecourt n’a jamais demandé ou reçu de rétribution pour ce travail.
Aujourd’hui malheureusement, ces décors ne sont plus en place.
Un
panneau constitué de panneaux de céramique est encore visible dans ce qui fut
la Clinique Saint-Louis de Brest, il représente le roi Saint-Louis rendant la
justice, mais qu’est devenu le grand décor peint à même le mur pour l’Hôpital
des Broussailles à Cannes ?
Toujours
en parallèle à ses créations de faïences, Bel Delecourt a également exposé des
panneaux de peinture sur soie. Malheureusement, les couleurs de ceux que nous
avons pu retrouver sont considérablement fanées.
Enfin,
Bel Delecourt, infatigable, est encore aujourd’hui l’auteur d’aquarelles,
technique à laquelle elle associe volontiers le collage.
Plus
de cinquante années d’activités artistiques variées donc, mais toujours avec ce
souhait profond de mettre en lumière un univers profondément féminin, doux,
paisible et gracieux. Voilà un résumé de l’activité de Bel Delecourt."
1 commentaire:
Merci de cette biographie
Belle artiste, belle femme..
Un portrait passionnant de l histoire d une artiste quimperoise..
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