mardi 18 septembre 2012

Décès de François Dilasser

François Dilasser - cliché Le Télégramme

Un de nos importants artistes bretons contemporains vient de s'éteindre. J'avais eu l'occasion de rencontrer François Dilasser afin d'évoquer son travail en céramique à la manufacture HB-Henriot (années 1991-1992). Quelques articles de presse évoquent le personnage, son parcours et son travail :

Dans "Le Télégramme" - 17 septembre 2012 :

Né à Lesneven en 1926, le peintre François Dilasser est décédé dans la nuit de samedi à dimanche . Figure incontournable de l'art contemporain breton, il laisse derrière lui une œuvre considérable.
Nous avons appris le décès, durant la nuit de samedi à dimanche, du peintre François Dilasser, né en 1926 à Lesneven, qui y travaillait et y a passé la majeure partie de sa vie. François Dilasser, passionné de dessin, s'était mis à la peinture tardivement, à la suite d'une carrière professionnelle où il a exercé plusieurs métiers pour faire vivre sa famille. Il franchit le pas à la fin des années 70. «Je me suis rendu compte que l'on ne peut pas peindre en faisant autre chose à côté, on est là-dedans tout le temps», expliquait-il au printemps 2008, lors de la présentation de la grande rétrospective organisée par le musée des Beaux-Arts de Brest, en association avec le musée de Bordeaux. Lui qui a toujours dessiné, copiant quand il était enfant des reproductions de Fouquet, Rubens ou Titien, a ressenti un choc en 1943 en découvrant dans un livre «Le cheval blanc» de Gauguin. Il comprend alors que «la peinture peut se libérer du réel pour devenir l'expression d'une pensée à travers la couleur ou la composition».

Autodidacte

Peintre autodidacte, il travaillait essentiellement sur des séries, comme les arbres, les mains, les têtes, les comètes, les veilleurs, les bateaux-feux, les régentes, et ne changeait de thème que lorsqu'il pensait avoir épuisé le sujet. Des séries qui pouvaient lui demander beaucoup de temps. Il a, par exemple, travaillé pendant quatre ans sur «Les baigneuses» de Cézanne.

«Les idées doivent venir par la main»

«Les idées doivent venir par la main car c'est la main qui sait», aimait répéter François Dilasser, artiste qui fonctionnait beaucoup à l'instinct et à l'intuition. Ses œuvres sont présentes à Brest - notamment à la galerie La Navire, dirigée par l'une de ses filles - à Quimper, à Morlaix, et dans les Fonds régionaux d'art contemporain de Bretagne et de Normandie. Elles ont souvent été exposées en France, mais aussi à l'étranger, par exemple en Allemagne. Plusieurs ouvrages lui ont également été consacrés, entre autres «Dilasser», de René LeBihan, aux éditions Palantines, «Chez François Dilasser», de Charles Juliet, aux éditions L'échoppe. Sa femme Antoinette Dilasser, auteur de plusieurs ouvrages sur la peinture et qui a aussi publié en début d'année «La passe» sur la fin de vie de son mari, conseillait les visiteurs de l'exposition rétrospective: «Ne pas aiguiller celui qui regarde vers une interprétation seule alors qu'elles sont multiples». François Dilasser, apprécié dans le monde de la peinture contemporaine, laisse derrière lui une oeuvre considérable.

Dans Ouest-France - extrait - entretien avec René Le Bihan - 18 septembre 2012 :

René Le Bihan, ancien conservateur du musée des Beaux-Arts de Brest.
Quand avez-vous rencontré François Dilasser ?
Je l'ai rencontré à la fin des années 60, il avait une quarantaine d'années. Il a toujours peint et dessiné. C'était déjà fort intéressant. Il était à la recherche d'une expression personnelle. J'ai commencé par le soutenir, mais je n'ai pas découvert Dilasser. J'ai sans doute été au bon endroit au bon moment. Son talent, il ne devait qu'à lui-même.
Comment peut-on qualifier sa peinture à ce moment-là ?
Sa peinture avait commencé par imiter Picasso, comme tout le monde, aussi bien chez Keraluc qu'à Paris. Il ne s'en contentait pas, lui qui avait découvert la peinture à travers Gauguin et son Cheval Blanc. Avant, il avait imité Rubens, Rembrandt, il avait copié des tas d'images qui circulaient dans les publications religieuses. Il a trouvé quelque chose du côté de l'art abstrait. C'est là qu'il a commencé peu à peu à se dégager de cette influence générale pour arriver à quelque chose de l'ordre du grand mystère, qu'il trouvait chez l'un des plus grands artistes du XXe, Paul Klee.
Les premiers tableaux qu'il a montrés lors d'une exposition étaient proches de Paul Klee et de Roger Bissière. Roger Bissière avait commencé à faire des étoffes cousues. Cela a influencé le talent de François Dilasser. Il a exposé des étoffes chez Fouillen, rue Réné Madec, à Quimper. Après, il a quitté peu à peu son travail dans le bâtiment pour se livrer à la peinture.
Que voulez-vous dire par « grand mystère » ?
Il se rendait bien compte que la peinture, ce n'était pas montrer les choses communes, qu'il fallait y ajouter une partie personnelle, de son monde intérieur. C'est la grande nouveauté du XXe. « Du spirituel dans l'art », disait Kandinsky. Il fallait qu'il trouve quelque chose sans montrer par l'image, mais par des couleurs, par des formes parfois énigmatiques. Il fallait rendre sensible. Cela lui a demandé énormément de temps et d'effort.
Peut-on le rattacher à d'autres peintres bretons ?
Il ne voulait pas se rattacher à qui que ce soit. En dehors de ces premières expériences, de la force de la couleur qu'il avait trouvée chez Gauguin, la force du mystère qu'il y avait chez Klee, l'utilisation de l'acrylique qu'il avait emprunté chez Bissière, en dehors de cela il ne voulait pas être inclus dans un mouvement ou une tradition. Il se méfiait de ce qui pouvait être breton. Un peu dans la même récrimination, la même ambiguïté qu'Yves Tanguy. Alors qu'il était lui-même breton, un homme de Lesneven, inséré dans la terre léonarde et sa famille nombreuse. Mais, il ne voulait pas qu'on le traite de peintre breton alors qu'il l'était terriblement, breton.
 
Recueilli par Christian GOUEROU.
 

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